Constantine : abîmes et infiltrations exotiques

source: CHEBBAH Chérifa  
Manuscrit auteur, publié dans "Penser la ville – approches comparatives, Khenchela : Algérie (2008)"

Constantine : abîmes et infiltrations exotiques

            Le thème de la ville est à la fois éternel et spécifiquement contemporain. Depuis l’aube de l’humanité, les villes ont exercé une véritable fascination sur les esprits. La ville est souvent perçue comme le lieu où se trouve le travail, donc l’opulence. Ce qui n’occulte en rien sa beauté et sa splendeur bien au contraire, car elle est également considérée comme le berceau de la civilisation, lieu de l’art, de la tolérance et des libertés. La ville est en effet, un entrelacement incontestable de cultures, de sciences et de savoirs, dédales infinis de plaisirs même fugaces, et de fantasmes multiples comblés dans le ravissement que procure l’anonymat. En outre, il y a dans la ville ce « plaisir de plonger sa solitude dans un véritable bain de foule », comme l’affirme si bien Baudelaire, qui rajoute dans son Spleen de Paris (XII), « Il n’est pas donné à chacun de prendre un bain de multitude : jouir de la foule est un art ».Et seule la ville peut procurer cette jouissance !

           La ville est l’espace de tous les excès, de l’effervescence et de l’évanescence où tout se noue et se dénoue à une vitesse euphorisante, incommensurable. Dans le cadre de ce colloque où la question urbaine est centrale, mon propos est de voir comment a été pensée et perçue la ville de Constantine, à travers différents moments de son histoire. Cette communication intitulée « Constantine, : abîmes et infiltrations exotiques », rassemble des regards variés, oscillant entre l’exotisme – propre essentiellement aux écrivains et voyageurs français du XIX° et XX° siècle - et une perception moins pittoresque, moins chatoyante - à laquelle nous ferons simplement allusion à travers l’exemple d’Albert Camus - que nous retrouvons chez les écrivains algériens tels que Kateb Yacine, Malek Haddad, Tahar Ouettar, Rachid Boudjedra ou encore Jamel Ali Khodja , qui voient en Constantine, un abîme profond, l’incarnation même des abysses et du néant. Constantine, une ville éternelle Constantine est la ville des ponts suspendus. Elle fut édifiée environ 3000 ans avant J.- C.


 Les Numides en étaient les véritables habitants. Construite sur un rocher de plus de 600 mètres d’altitude, elle est entourée de profonds ravins et traversée par le Rhummel. Tout cela a contribué à lui donner sa puissance de citadelle imprenable et à lui offrir un itinéraire archéologique et historique des plus captivants. Constantine, Cirta, Kirta la Berbère, suscitera tout au long de son histoire, un intérêt non négligeable dans les écrits de façon générale et dans la littérature en particulier. Cette ville a ainsi inspiré de tous temps, un nombre d’écrivains, d’historiens et de voyageurs de périodes et d’origines diverses, parfois en mal d’exotisme ou simplement à court d’imagination. Les récits descriptifs, les évocations et les souvenirs qui y sont liés sont pléthoriques, prouvant que leurs auteurs n’ont pas été insensibles à son charme légendaire et n’échappent guère à son envoûtement. Ils ont trouvé et puisé dans l'âme de l’antique cité une inspiration intarissable De leur regard, de leur fantasme, de leur sensibilité et de leur écriture, jaillissent le rythme et les battements d'une ville ressentie à travers les destins humains et la conjonction de l'histoire… Il est vrai qu’aucune ville au monde ne ressemble à Constantine. Malek Haddad l’a bien vu quand il déclare : « aucune ville au monde ne sait parler comme Constantine». Exception faite, cependant pour le célèbre Ibn Battuta, qui consacra à cette vénérable vieille cité, à peine une page dans ses non moins célèbres Voyages. Curieusement, elle ne l’aura ni fasciné ni repoussé. Pire, elle l’aura laissé pratiquement indifférent.


                        L’intérêt porté à la ville de Constantine


 Aujourd’hui, l’intérêt porté à la ville de Constantine, est loin d’être épuisé comme en témoignent le nombre d’ouvrage et de romans qui continuent de lui être consacrés chaque année2. Constantine, paysage insolite est un haut lieu de l’Histoire, perchée sur son rocher, fait partie d’une géographie culturelle autour de laquelle voyage et ancrage viennent s’affronter inévitablement. Comment rester insensible devant son Rocher majestueux, si fier, presque dédaigneux… ses ponts, la luminosité de son ciel ; ses abîme, ses gouffres qui donnent le vertige et ses tunnels mystérieux ? « Constantine, la ville où l’homme est plus haut que l’aigle », dixit Constantin et qui s’exhibe comme une île perdue sur on ne sait quelle contrée. 

La littérature sur Constantine


 La littérature sur Constantine dans son ensemble n’est pas l’apanage des Algériens mais aussi l’oeuvre de gens de passage, qui y séjournent sans s‘y enraciner. Ils sont venus par curiosité, parce qu’ils ne voulaient plus se contenter de la caresser en imagination. Leurs écrits ont souvent un caractère touristique, nécessairement visuel, voire « voyeur ». Ainsi à la découverte de cette ville, ils ont du mal à contenir leur allégresse, là où les merveilles foisonnent jusqu’à l’absurde… Une ville étroite, inextricable qui semble vouloir se fermer derrière vous à chacun de vos pas. Par sa conception chaotique, il y a comme une constante propagation de menaces .Comment telle ville a t elle pu échouer ainsi dans un lieu aussi invraisemblable, aussi peu commun. ? 

Voilà comment quelques auteurs l’ont évoqué : EL Idrissi dans sa Description de l’Afrique et de l’Espagne (XIIe siècle) voit dans cette ville, d’abord sa position de forteresse et sa richesse. C’est : «l’une des places les plus fortes du monde, elle domine des plaines étendues et des vastes compagnes ensemencées de blé et d’orge ». Nous pouvons citer aussi Tchihatechef qui, dans son ouvrage intitulé Espagne, Algérie et Tunisie (1880) propose le tableau suivant, et où le pittoresque ne fait nullement défaut : « Constantine, assis sur un magnifique rocher que le Rhumel et de profonds ravins entourent d"une ceinture presque ininterrompue, se présente d'une manière aussi pittoresque qu'original ; pourtant, vue à certaine distance, la ville fait plutôt l'effet d'une citadelle européenne avec ses maisons à toits en tuiles, que d'une ville orientale ; l'élément oriental ne se dégage que lorsqu'on a mis le pied dans son enceinte intérieure ». 

 Ou encore Paul Lelu3 dans ses       souvenirs de colon évoque « Constantine la ville aérienne » à travers une description plutôt singulière 



: « Mais je dois dire, avant d'aller plus loin, que Constantine,antique Cirta des Numides, une des villes les plus antiques de l'Algérie et sans contredit la plus curieuse, est bâtie sur un rocher en forme de pain de sucre tronqué baignée, de tous les côtés par le Roumel. Paisible ruisseau en été, torrent impétueux en hiver, la rivière roule ses eaux jaunâtres au fond d'un précipice affreux dont l'oeil, en certains endroits, peut à peine, sonder la profondeur. Par un seul côté, en face du Koudiat-Aty, la plate-forme sur laquelle la ville est assise, se relie au massif des collines environnantes, dont elle a dû être séparée, jadis, par quelque effroyable convulsion géologique. Les Arabes, dans leur langue imagée, lui ont donné le nom de Cité aérienne et ils la comparent à un burnous dont le capuchon serait formé par la Kasbah – un burnous noir assurément, car l'aspect sombre des maisons recouvertes de tuiles noircies par le temps contraste désagréablement avec les blanches terrasses du reste l'Algérie. »
 Le docteur Sédillot est catégorique quand il affirme en 1837 (Campagne de Constantine) : « Les féeries orientales ne pourraient imaginer une ville de guerre plus escarpée et plus inaccessible que Constantine ». Jean Lorrain ne peut contenir son admiration devant les féeries qui l’attendent dans cette ville, et dans Heures d’Afrique (1889), il nous fait part des ses impressions : « En arrivant sur la place j'y trouve un spectacle admirable. Le brouillard s'est levé, il se lève encore le merveilleux panorama de la vallée du Rummel apparaît baigné de soleil, des flocons blanchâtres traînent bien encore à mi-hauteur des montagnes; ce sont comme de longues bandes de brume horizontalement tendues dans l'espace et des coins entiers de paysage luisent dans l'écartement des vapeurs à des hauteurs invraisemblables, comme détachés en plein ciel. Au milieu de cette mer de brouillard, Constantine et son chemin de ville, taillé à même le roc, se dressent et se découpent, tel un énorme nid d'aigle... Le Rummel ! Il faut être descendu dans le lit du torrent pour pouvoir se faire une idée de cette horreur farouche et grandiose, de ces eaux jaunes et comme sulfureuses roulant un continuel tonnerre dans l'étranglement de ce couloir de roches. Hautes et verticales comme des murailles, on pourrait se croire dans le fossé de quelque forteresse de rêve, de celles que la fougue d'imagination d'Hugo a évoquées dans d'épiques dessins. »


             Constantine, redoutable et farouche, génère de puissantes et violentes métaphores. Anthropomorphisée, personnifiée, divinisée… comme si les écrivains devant son site unique ne trouvent plus les mots qui rendent compte de tant de beauté et d’originalité. Nous avons tenu à introduire dans cette étude, l’évocation insolite de Constantine rapporté dans un ouvrage par un écrivain et historien français , visiteur de l’Algérie sous le régime militaire , M.Poujoulat, qui a publié un livre intitulé Voyage en Algérie (études africaines) . Voyage en Algérie est le produit de deux d’études sur l’Afrique française. A la ville de Constantine sera consacré le chapitre XVII dans lequel il rappelle avec une grande et flagrante émotion, la mort du général Danrémont, l’assaut de Constantine du 13 octobre 1837 et des dernières scènes de la conquête de la ville, tel qu’ils furent rapportés dans les documents officiels. Nous avons relevé ici deux passages relatifs à la ville de Constantine dont le contenu nous a paru assez singulier, voire surprenant : « Mais quand on prend la route arabe, (…), on ne voit Constantine que du haut plateau due Mansourah ou de la Victoire : alors l’antique capitale de la Numidie s’étend à vos pieds avec la forme d’un burnous déployé, comme disent les Arabes. L’aspect de Constantine, du haut du Mansourah, m’a très vivement frappé ; l’Europe et l’Orient, ne m’avaient rien offert de pareil. Cette cité assise sur des rocs, aux bords des abîmes, vous apparaît comme je ne sais quel mystérieux et formidable gardien du désert. Nous arrivâmes par El-Kantara, et nos regards surpris mesurent, en passant, les effrayantes profondeurs des précipices au fond desquels coule le Rhummel. Du Kantara, une magnifique échappée de vue sur le couchant se découvre entre les deux montagnes ». 4 L’auteur propose ici une belle description de la ville, qui semble d’ailleurs être inspirée quelque peu des textes de Guy de Maupassant. Cet écrivain historien, ébloui par le spectacle de cette cité perchée entre ciel et terre, succombe facilement à la curiosité extasiée de l’écrivain touriste. Mais dans le deuxième extrait choisi, le ton change radicalement : après avoir admiré à loisir et jusqu’à l’extase le paysage de la ville, il se laisse aller à de drôles de diatribes : « Constantine, ou Cossentina comme l’appellent les Arabes, bâtie en tuiles crues et en pise, ville sans gaîté, sans animation, sans bruit, environnée d’abîme et de solitudes, ne ressemble à aucune ville de la terre. Elle rappellerait Jérusalem par ses muettes tristesses si quelque chose était comparable aux tristesses sublimes de la vallée de Josaphat, de la grotte de Jérémie, du calvaire du divin tombeau. Une silencieuse gravité règne partout dans les tortueuses rues de Constantine. A voir le sérieux visage des habitants, Kabyles, Mores et Juifs, on dirait des hommes constamment occupés à méditer les années éternelles. Notre langue, les vêtements européens, les uniformes de nos officiers et de nos soldats, sont les seules variétés de ces aspects immobiles. La rue des Juifs, avec ses voûtes et ses arcades de vignes et des pampres, entremêle d’image riantes et de caprices gracieux la gravité accoutumée». 5 Et dans une description un peu plus récente de l’écrivain Hubert Nyssen, nous lisons dans son ouvrage intitulé L’Algérie6 : « Fixée sur son rocher, Constantine n'a pas la volubilité d'Alger, la sérénité d'Oran. Non, c'est plutôt une place forte, une ville orgueilleuse, une cité hautaine. Telle est du moins l'impression qu'elle donne quand on l'aborde par la route du nord. Elle joue, dirait-on, de la menace et d'une certitude d'invulnérabilité. Elle a, comme des auteurs l'ont fait remarquer, quelque chose de Tolède - le sens du tragique peut-être - et l'assurance de qui surplombe le monde. Mais, dès que l'on se rapproche, la physionomie se modifie.
Constantine paraît soudain anxieuse de s'évader de son étroite plate-forme. Par-dessus les gorges du Rhumel, elle a lancé des ponts et sans doute est-ce celui de Sidi M'Cid, suspendu et arachnéen, qui est, de ce point de vue, le plus suggestif. »

 

Constantine, à l’ombre de l’exotisme littéraire


Le goût, l'attrait, la représentation d'êtres ou de phénomènes originaires de pays lointains,
inconnus, mystérieux. Ce qui fait le charme et l'attrait de l'ailleurs, de ce que nous appelons
exotisme, ce n'est point tant que la nature y soit plus belle, mais que tout nous y paraît neuf,
nous surprend et se présente à notre il dans une sorte de virginité, voilà comme Gide définit et
donne à voir l’exotisme dans son Journal7. L'exotisme commence avec le rêve ; il vise
l’imaginaire. L'exotisme est une question de représentation d'un réel appréhendé par un
imaginaire qui en fait ressortir certains traits propres à susciter une rêverie sur un ailleurs dans
l'espace, mais aussi souvent dans le temps. Au XIX° siècle, le goût est au dépaysement et
l’exotisme étant de rigueur, on s’est employé farouchement à exalter la beauté de Constantine
avec des écrivains aussi célèbres que Théophile Gauthier ou Gustave Flaubert.
Constantine est d’abord et la plupart du temps examiné sous l’angle de son « insularité »
géographique. Elle est évoquée comme un nid d’aigle, perché sur un étroit plateau rocheux,
limité par les escarpements vertigineux, ainsi son site prend la forme d’un trapèze aux angles
orientés vers les quatre coins cardinaux. Envoûté par sa perfection, Alexandre Dumas, a bien
du mal à contenir son enthousiasme : « Un cri d’admiration, presque de stupeur au fond
d’une gorge sombre, sur la crête d’une montagne baignant dans les derniers reflets
rougeâtres d’un soleil couchant, apparaissait une ville fantastique, quelque chose comme l’île
volante de Gulliver » .

Gustave Flaubert, se montre plus modéré, plus discret dans ses épanchements. Dans une
correspondance datée du 25 avril 1858, il rapporte : « La seule chose importante que j'ai vue
jusqu'à présent, c'est Constantine, le pays de Jugurtha. Il y a un ravin démesuré qui entoure
la ville. C’est une chose formidable et qui donne le vertige,…».


Rhummel, quand tu nous tiens !

Et quant à la description du Rhummel, elle draine toutes les fantaisies possibles. Guy de Maupassant a offert à la « cité phénomène » - comme il la surnomme – l’une des belles
descriptions en célébrant avec grand émoi son majestueux Rhummel : « Et voici Constantine, gardée comme par un serpent qui se roulerait à pieds, par le Rhumel, le fantastique Rhumel, fleuve d’enfer coulant au fond d’un abîme rouge, comme si les flammes éternelles l’avaient brûlé. Il fait une île de sa ville, ce fleuve jaloux et surprenant ; il l’entoure d’un gouffre terrible et tortueux, aux rocs éclatant et bizarre, aux murailles droites et dentelées. La cité domine des vallées admirables pleines de ruines romaines, d’aqueducs aux arcades géantes pleines aussi de merveilleuses végétations ».

Le lit du Rhummel, enfoncé dans le ravin, semble garder la ville « comme un serpent qui se
roulerait à ces pieds ». Plusieurs ponts furent lancés sur le ravin à travers les âges, la plupart
datant du XIXe siècle, conférant à la ville une beauté imprenable et unique au monde.
Théophile Gautier, dans son célèbre texte L’Orient (1884) consolide ses propos en recourant
aux comparaisons : « Le Rhumel, espèce de riviére-torrent, tantôt presque à sec, tantôt gonflé
outre mesure, comme presque tous les cours d’eaux d’Afrique, alimenté par les pluies
d’équinoxe ou la fonte des neiges s’est chargée de fortifier la ville et il a réussi mieux que
Vauban. Ses infiltrations ont causé dans le rocher une coupure de huit cents pieds de
profondeur au fond de laquelle il roule ses eaux troubles et impétueuses, tantôt à ciel ouvert,
tantôt sous des arches qu’il a évidé, et dont l’arc immense effraie l’oeil par sa hauteur. Après
avoir embrassé presque circulairement la ville et son inexpugnable rocher naturel, il change
de niveau et se précipite dans la plaine par une cascade dont les nappes et les rejaillissements
semblent avoir été copiés d’après une des plus sauvages fantaisies de Salvator Rosa, tant le
site est âprement pittoresque et férocement inculte ».

Il en est de même dans les années trente, au moment de la commémoration du centenaire de la
conquête, l’école algérianiste s’emploie à célébrer la beauté du pays. Nous citons à titre
d’exemple Louis Bertrand dans Africa-1933 qui présente Constantine où une fois de plus une
sorte d’hébétude déroutante chez ce nostalgique de l’Afrique latine : « Qu’on s’imagine une
forteresse naturelle surgie comme sous la poussé d’un volcan, au milieu d’un cirque de
pierre. La place est toute prête pour un camp retranché, Une ville militaire devait naître là.
Constantine est le type de la citadelle numide, le modèle agrandi de tous ces « borjs », qui
s’échelonnent sur les crêtes montagneuses du pays. Mais, ce qui excite : une réelle stupeur,
c’est la forme géométrique de ces entassements rocheux, dont le faite monte si haut que, d’en
bas, on distingue à peine les bâtiments et les travaux de défense quoi les dominent. Cela tombe d’un jet perpendiculaire, plus aérien et plus vertigineux que la chute du Rhumel, qui,
au pied de la Casbah, se précipite en cascade, à la sortie des gorges ». 


Conclusion

Les textes sur la ville de Constantine d’une beauté d’ailleurs indéniable, rivalisent par la quantité, la qualité et la richesse des descriptions. Mais malgré l’étonnante diversité des lieux constantinois à l’ombre de l’exotisme, un premier constat s'impose : point de couleur locale dans la plupart des textes. On rejette toutes références locales, ce qui est particulièrement significatif. Tout au plus retrouve-t-on quelques allusions à certaines coutumes ou traditions autochtones comme le voile des femmes ou quelques autres annotations stéréotypées, ne laissant guère exhaler l’âme d’un peuple colonisé qui souffre. Ainsi la description de la ville de Constantine se trouve réduite à son rocher, soustrait à toute velléité de reproduire le réel. L’indigène reste soit absent, dévalorisé ou simplement marginalisé et cantonné dans une condition de sous-homme. Seules sont retenues les habitation européennes, qui ont donc droit de cité et sont dignes de figurer dans le panorama de cette ville.

Mais avec l’écrivain Albert Camus, un homme déchiré entre deux patries, nous enregistrons un tout autre son de cloche. Ce dernier propose en effet une représentation, une vision un peu plus patibulaire voire effrayante : « Constantine a un pont suspendu où l’on se fait photographier. Les jours de grand vent, le pont se balance au dessus des profondes gorges du Rhumel et on a le sentiment du danger Clic-clac. On s’en va ! Pressé ? Cynique ? Désabusé ? ».

Ces propos permettent de bien illustrer une variante de la définition de l'absurde par Camus lui-même : «Ce malaise devant l'humanité de l'homme même, cette incalculable chute devant l'image de ce que nous sommes, cette nausée comme l'appelle un auteur de nos jours (Sartre) ». Et cette vision camusienne parfaitement réaliste vient rappeler âprement que le temps de créer des ponts entre les deux communautés n’a pas encore sonné… Constantine ne sera plus jamais vu à travers l’ornière réduite d’un exotisme usé, suranné. Dans les écrits des écrivains algériens, nous assistons à une toute autre configuration de cette ville. Sous son aspect tant pittoresque se révèle une toute autre apparence particulièrement provocante… une ville suicidaire qui menace à tout instant de se jeter dans le gouffre et de basculer dans l’horreur…



source: CHEBBAH Chérifa  
Manuscrit auteur, publié dans "Penser la ville – approches comparatives, Khenchela : Algérie (2008)"



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